L’histoire et l’importance culturelle de la sfifa

La sfifa est une forme de passementerie qui fait partie intégrante de l’esthétique et du riche symbolisme matériel des styles de vêtements régionaux traditionnels, des selliers ancestraux, des objets rituels et décoratifs du Maroc. Il s’agit à la fois d’un artisanat emblématique du royaume dont les racines remontent à l’Antiquité, et d’une forme florissante de créativité artisanale contemporaine.

La sfifa est fabriquée par le tissage aux cartes, d’étroites longueurs de tissu utilisées comme décoration et garnitures (y compris les bordures, les garnitures et les ceintures) sur les caftans et les jellabas, les bourreliers et les objets décoratifs. La sfifa est aussi traditionnellement utilisée pour confectionner la coiffe des mariées marocaines amazighes et juives.

Il existe très peu de documentation sur l’histoire et les techniques du tissage de la sfifa, malgré son importance dans l’ornementation symbolique et la diversité régionale des vêtements marocains.

La vision et l’objectif de l’association TIMENDOTES sont centrés sur le développement des compétences artisanales et le maintien du tissage de la sfifa au Maroc. En outre, une recherche et une documentation historiques de pointe seront essentielles pour reconnaître l’importance de la sfifa dans les pratiques artisanales et vestimentaires contemporaines.

 

Tissage aux cartes en Afrique du Nord 

Bien qu’il y ait très peu de documentation sur les origines du tissage aux cartes au Maroc, il existe des techniques spécifiques et des parallèles de style qui permettent une analyse et des spéculations crédibles sur son développement et ses influences à travers les siècles. L’un des objectifs de l’Association TIMENDOTES est de réunir des praticiens et des universitaires afin de renforcer les connaissances sur la sfifa, aspect essentiel du patrimoine culturel et de la culture matérielle du Maroc.

L’anthropologue et folkloriste Arnold Van Gennep (1873-1957) a commencé à s’intéresser à cette technique après avoir lu un article illustré de l’experte allemande en textiles Margarethe Lehmann-Filhès sur le tissage aux cartons en Islande, publié en 1899. Van Gennep fut tellement inspiré par ce texte qu’il apprit la technique et s’y consacra. En 1901, Lehmann-Filhès publie son livre phare : Über Brettchenweberei (en allemand : Sur le tissage aux cartons). Malgré l’étendue du livre et sa profonde érudition, Van Gennep constate que l’Afrique du Nord n’y nullement mentionnée. Il a ainsi estimé qu’il était essentiel d’étudier plus en profondeur les pratiques existantes en matière de tissage aux cartes dans cette région de la Méditerranée.

Lorsque Van Gennep mène son enquête ethnographique sur le tissage aux cartes en Algérie entre 1910 et 1911, un vieil homme de Tlemcen témoigne qu’ « au temps des Turcs » [du XVIe siècle à 1830, le nord de l’Algérie fait partie de l’empire ottoman], « tout le monde tissait avec des cartes à Alger mais que tous les métiers avaient brûlé depuis longtemps ». De plus, Van Gennep a découvert que deux des tisserands aux cartes interrogés à Tlemcen avaient appris le métier au Maroc : à Tétouan pour le premier et à Tlemcen même pour le second, auprès d’un tisserand juif originaire de Marrakech.

Retenons donc que les Algériens eux-mêmes ont appris le tissage aux cartes au Maroc, auprès de tisserands juifs d’origine marocaine à Tlemcen.

Les témoignages recueillis par Van Gennep au début des années 1910 auprès des tisseurs aux cartes algériens révèlent que la technique avait été utilisée dans le passé à Blidah, Tétouan, Tlemcen, Marrakech et Oujda, mais qu’elle avait disparu de ces villes. À l’époque, elle serait encore en usage à Fès .

 

Synergies entre sfifa et passementerie médiévale.
Le Maroc comme pont vers tous les pays de la Méditerranée 

Un autre flux transversal est enraciné dans l’histoire de la communauté juive marocaine. À la suite de l’Inquisition espagnole, l’Espagne expulse ses habitants juifs dans le cadre du décret de l’Alhambra en 1492. Nombre d’entre eux fuient alors vers l’Afrique du Nord, devenant les mégorachim. Cette communauté juive venue d’Espagne au Maroc s’est particulièrement spécialisée dans le travail de la soie – de l’élevage des cocons au tissage.  Ils avaient également le quasi-monopole de la fabrication du fil d’or et de son utilisation dans les textiles et les broderies.

La pratique du tissage de la sfifa avec de l’or véritable était associée à la communauté juive du Mellah de Fès, et de nombreux exemples de robes de mariée marocaines richement décorées et ornées de sfifa tissée en or (berberisca) se trouvent dans les musées du monde entier. Les habitants juifs de Fès étaient particulièrement habiles dans le travail de la soie, la production de passementerie étant également une de leurs spécialités. Les nombreux mûriers du nord du Maroc donnent l’occasion à la communauté juive d’y élever des vers à soie. Une fois les cocons évidés, la soie était teinte dans des couleurs vives puis enroulée sur des bobines pour être vendue dans tout le royaume. Les importations étrangères ont cependant mis fin à la production locale.

Pour embellir et rendre les garnitures plus brillantes et plus raffinées, les artisans juifs fabriquaient et utilisaient du fil d’or, dit scalli en arabe. Il était obtenu en enroulant une fine et étroite bande d’argent doré sur un fil de soie torsadé. La production nécessitait l’intervention de plusieurs ouvriers hautement spécialisés, et plus de trois cents familles en vivaient à Fès. Cette industrie s’est poursuivie jusqu’en 1929, date à laquelle un propriétaire a fait venir de France une machine à enrouler la lame et la soie.  La quasi-totalité des ouvriers du fil d’or s’est ainsi retrouvée au chômage du jour au lendemain.

On peut se demander si les artisans juifs n’auraient pas apporté leur propre savoir-faire en matière d’enveloppement de fils fins dans des métaux précieux depuis l’Europe médiévale, où l’on connaît de nombreux exemples de vêtements ecclésiastiques décorés de bandes tissées à l’aide de cartes et ornées de métaux précieux.

De nombreux manuscrits enluminés européens montrent des tisserands utilisant une méthode de tension de la chaîne (étirer le fil entre deux poteaux) similaire à celle utilisée au Maroc. La plus ancienne preuve directe de ces méthodes de tension de la chaîne se trouve dans les livres d’heures du XVe siècle, figurant la Vierge Marie occupée à tisser des cartes.

Bien que le manque de documentation ne nous permette hélas que de spéculer sur les fils historiques d’influence et d’échange interculturels, il ne fait aucun doute que la riche histoire du Maroc et sa situation géographique au carrefour de l’Europe et de l’Afrique du Nord, bordé par la mer Méditerranée, l’ont placé comme un point axial des flux de marchandises et de circulation des idées, dont la sfifa est l’incarnation textiles.


La Vierge Marie, entourée d’un nimbe décoré, est assise sur une chaise devant un métier à tisser. Le métier à tisser est remarquablement similaire à ceux utilisés pour tisser la sfifa au Maroc, indiquant des histoires potentiellement entrelacées à travers la migration des communautés juives d’Espagne au Maroc au 15e siècle.
Livre d’heures. France, Paris, vers 1425-1430. MS M.453 fol. 24r. The Morgan Library and Museum

 

La sfifa comme élément du symbolisme culturel amazigh et juif 

La sfifa fait partie intégrante du costume traditionnel marocain, ornant les caftans et les jellabas, avec une décoration particulièrement riches pour les occasions cérémonielles.

Les communautés amazighes et juives du Maroc utilisent toutes deux la sfifa comme partie intégrante et constitutive de la tenue vestimentaire des mariées le jour des noces. Dans les communautés amazighes, la mariée porte un couvre-chef appelé Izar, dans lequel une sfifa aux motifs géométriques complexes est placée sur sa tête, recouverte d’un voile tombant sur les épaules.

Dans les communautés juives marocaines, la tête de la mariée est ornée d’une sfifa décorée de plusieurs centaines de perles et parfois de rubis, formant un splendide diadème ou une tiare.  

Ce diadème de mariée exquis porté par une mariée juive utilise de la sfifa, des perles et des pièces de bijoux en or avec des pierres semi-précieuses sur de la soie.
Musée d’Israël, Jérusalem

 

Ainsi donc, la sfifa a fait partie intégrante de l’habillement juif et des moyens de subsistance artisanaux après l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 par les Rois Catholiques. Nombre d’entre eux ont traversé le détroit de Gibraltar et cherché la protection du sultan du Maroc, qui régnait alors depuis sa cour de Fès. Les communautés juives qui vivaient déjà en Afrique du Nord (toshavim) ont été rejointes par les Juifs sépharades de la péninsule ibérique (mégorashim), qui ont apporté avec eux des coutumes et des traditions développées au fil des siècles.

La robe berbère sépharade (keswa el kbira ou berberisca), portée lors de la nuit du henné de la mariée, trouve ses racines dans la péninsule ibérique. Elle a été produite pour la première fois par les brodeuses juives de la cour royale d’Espagne au Moyen-Âge. La keswa el kbira se compose de plusieurs vêtements où la sfifa joue un rôle important dans l’ornementation et le symbolisme de ces pièces. La zeltita (jupe) est souvent ornée de vingt-deux galons tressés (sfifa) qui rappellent les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque, métaphore de la Torah.  Un autre nombre caractéristique des galons de sfifa est le chiffre vingt-six, très significatif dans le Judaïsme. Il s’agirait en effet, selon la Guématria, de la valeur numérique du nom de Dieu.

On pense que la bande la plus large du bas de la jupe est originaire d’Europe. En France, ce type de galon est appelé galon à système. Il s’agit d’un galon métallique dont le décor n’est visible que d’un seul côté, pour économiser la matière précieuse. En vogue au XVIIe siècle, il était utilisé pour souligner ou cacher les coutures des différentes pièces composant les vêtements liturgiques chrétiens. La tresse à système utilisée sur la zeltita est souvent tissée de motifs de raisins et de vignes, symboles da prospérité et de bonne fortune dans la tradition juive.

La zeltita, qui fait partie de l’ensemble de la keswa el Kbira nuptiale, représente une confluence fascinante entre les traditions juives séfarades, et la culture et l’artisanat marocains. Les fils de soie ont été minutieusement recouverts d’une couche de feuilles d’or – spécialité des artisans juifs de Fès – la communauté juive de Fès étant connue pour avoir joué un rôle central dans la production de sfifa tissées d’or.

Le devant de la keswa el Kbira de Tétouan présente généralement deux paires symétriques de grandes spirales décorant chaque côté du gombaiz (boléro), avec une alternance de fils d’or tressés et de cordons d’or. Les spirales symbolisent le cycle de la vie et de l’éternité. Dans l’exemple présenté ici, des sfifas dorées sont utilisées pour les spirales du gombaiz. Le déclin de l’industrie de la soie dans son ensemble, ainsi que l’émigration des Juifs marocains vers Israël dans les années 1960, a entraîné l’arrêt de la production de sfifa de fils d’or tissés à la main pour la keswa el kbira.

Cette magnifique Keswa El Kbira (Arabe – Grande Robe) portée par la mariée est ornée de marques de sfifa qui forment des formes et des chiffres hautement significatifs en termes de symbolisme religieux judaïque.
Centre de la Culture Judeo-Marocaine (CCJM), Bruxelles

 

L’habit traditionnel marocain et la sfifa

La sfifa fait partie intégrante du costume marocain ancestral et de ses interprétations contemporaines. Un caftan traditionnel est appelé ayn et okda (en arabe « œil et bouton »). Il est utile d’examiner la culture matérielle plus large de l’habillement pour contextualiser l’importance et l’histoire de la sfifa en tant que forme d’ornementation hautement symbolique.

Bien que de nombreuses sources attribuent au caftan des origines persanes et qu’il ait été introduit en Afrique du Nord par les Ottomans, d’autres font état de sa popularité au cours du califat berbère almohade d’Afrique du Nord du XIIe siècle, qui mettait l’accent sur la sobriété et interdisait l’utilisation de l’or et de la soie. Lorsque la dynastie mérinide a renversé les Almohades au XIIIe siècle, les tarz (ateliers de tissage princiers) ont créé de luxueux caftans ornés de fils d’or et de ceintures de soie. Sous le règne de la dynastie   saadien, aux XVIe et XVIIe siècles, le caftan est révolutionné. Les femmes commencent à l’adopter, marquant la féminisation d’un vêtement jusqu’alors réservé aux hommes.

Vers la fin du XVe siècle, lorsque d’importantes vagues de population sont arrivées au Maroc après avoir été expulsées d’Espagne, leurs coutumes culturelles et leurs techniques artisanales ont ajouté aux possibilités luxueuses du caftan. D’abord porté par les dignitaires de l’époque saadienne et les femmes du palais, le caftan est devenu à la mode dans les classes moyennes à la fin du XVIIe siècle. Au fil du temps, les caftans d’apparat sont devenus lourds et luxueux, faits d’or et de brocart de soie.

Fès a été le principal centre de fabrication de la soie depuis la période médiévale jusqu’au début du XXe siècle. Sous le calife Muhammad an-Nâsir (1181- 1213), un recensement établi pour des raisons fiscales fait état de 3 490 ateliers de tissage et dénombre plus de 3 000 tisserands à Fès. Pendant des siècles, le nombre de tisseurs de soie à Fès est resté remarquablement constant, reflétant son importance pour le commerce intérieur et les pratiques vestimentaires. Cependant, les importations françaises ont commencé à provoquer un déclin de l’industrie. Les archives historiques montrent qu’à la fin du XIXe siècle, plus de 4 000 personnes travaillent dans la production de soie, de coton et de laine à Fès, pour seulement 500 ateliers de tissage de la soie. Tétouan, Rabat et, dans une certaine mesure, Marrakech étaient également des centres de production de soie à cette époque.

Peu de tentatives ont été faites par les historiens pour différencier les produits de ces centres régionaux. Cependant, l’historienne de l’art Nadia Erzini souligne les différences cruciales entre les styles de Fès, de Tétouan et de Rabat en matière de couture, de tressage d’or (sfifa) et de broderie sur les caftans, tous très diversifiés. En effet, si le caftan est un élément emblématique du costume national marocain, il existe des variations régionales distinctes. La sfifa est ainsi utilisée de différentes manières pour distinguer ces styles régionaux. Par exemple, le caftan de Tétouan est brodé de fils d’or et ses sfifas forment un élément décoratif distinctif sur le plastron appelé khanjar (poignard).

L’ancien caftan de Tétouan est orné de broderies complexes et de bandes de sfifa formant des plaques de poitrine décoratives appelées Khanjar (poignard) en raison de leur forme semblable à un couteau.
Plaque 15. Costume du Maroc, Jean Besancenot, 1942

 

La sfifa et la consommation urbaine de Luxe 

Nadia Erzini écrit sur les pratiques de consommation de la classe moyenne urbaine au Maroc au XIXe siècle. En l’absence de documents européens officiels sur les goûts et les fabricants locaux de l’époque, N. Erzini a étudié des documents juridiques marocains, tels que des contrats de mariage, des testaments, des dons et des partages d’héritage – datés de 1794 à 1894 et conservés dans ses archives. Ces derniers révèlent l’existence de trois articles récurrents dans les cadeaux (sdaq en marocain, marh en arabe classique) mentionnés dans les contrats de mariage de Tétouan tout au long du XIXe siècle.

En étudiant ces documents juridiques contemporains, Erzini a découvert des informations détaillées qui soulignent l’importance des textiles ornés à cette époque. Des règles strictes s’appliquaient à ce que le marié devait offrir à la mariée, notamment un luxueux caftan brodé. Erzini a également découvert des preuves de la valeur des textiles de cérémonie par rapport à d’autres biens. Par exemple, dans les documents juridiques relatifs au partage de l’héritage de Ruqayya bint Ahmad Erzini (décédée en 1863-4) un caftan mushajjar est évalué à 1 600 mithqals, soit plus de cinq fois le coût d’un champ à l’extérieur de la ville de Tétouan (300 mithqals) et un quart du prix d’une maison neuve (6000 mithqals). En effet, un caftan fabriqué par la famille Bencherif à Fès était familièrement appelé khrib (« celui qui ruine ») en raison du prix exorbitant de ce caftan de brocart jaune brodé de roses.

Ce type d’informations historiques permet de réaliser l’importance de l’industrie indigène du tissage de la soie et de ses métiers connexes, tels que la fabrication de la sfifa, dans la société marocaine.

 

Le caftan et la modernité marocaine : rôle de la sfifa ?

Qu’en est-il des sfifas d’aujourd’hui ? Depuis le milieu du XXe siècle, des copies fabriquées à la machine ont infiltré le marché, affectant gravement les artisans qui fabriquent des sfifas tissées à la main. Aujourd’hui, on estime qu’il ne reste plus que deux cents artisans capables de tisser la sfifa au Maroc

Pourtant, le vêtement marocain tel que le caftan n’a jamais été aussi populaire, ayant subi diverses réinventions et transformations depuis le début du XXe siècle.

En 1912, le traité de Fès a vu la création du protectorat français. Louis Hubert Gonzalve Lyautey, premier Résident général au Maroc, suscite une effervescence autour du développement urbain, de la préservation et de la renaissance de l’artisanat traditionnel. Pour des raisons politiques, économiques et esthétiques, Lyautey insiste sur la séparation des villes marocaines en centres urbains européens (villas nouvelles) et arabes. La mode marocaine, telle que le caftan, la jellaba et la takchita, a prévalu dans la médina et a anticipé son rôle dans la création d’une nouvelle nation indépendante en 1956, où les vêtements traditionnels ont continué de jouer un rôle central dans la démarcation de l’identité marocaine et de la fierté nationale.

Dans les années 1930, Jean Besancenot a documenté le costume traditionnel marocain et a publié en 1942 les Costumes du Maroc, dont beaucoup offrent des aperçus séduisants de la sfifa appliquée aux formes vestimentaires régionales de l’époque.

Depuis l’indépendance en 1956, trois monarques consécutifs ont fait du caftan un élément clé de leurs visions du nationalisme, de l’identité musulmane et arabe et de la modernité marocaine. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, héritier de la dynastie alaouite, est sur le trône depuis 1999. Sa politique actuelle veille à mettre l’accent sur les réformes politiques et l’émancipation des femmes, avec la création de nombreuses coopératives artisanales féminines afin d’améliorer les moyens de subsistance des femmes issues des communautés rurales pauvres.

 

Le contexte contemporain : quand l’artisanat patrimonial rencontre les nouveaux marchés mondiaux

À partir des années 1960, la mode marocaine a absorbé et créé des styles hybrides en influençant la mode internationale et en incorporant des styles occidentaux dans son langage.

Des grands magasins français comme les Galeries Lafayette et Le Bon Marché ont ouvert leurs portes dans le centre cosmopolite de Casablanca, et proposent les dernières tendances de la mode française. L’afflux de la jet-set internationale dans des centres urbains, tels que Marrakech et Casablanca, a permis à des créateurs comme Yves Saint Laurent et Madame Gres d’intégrer des caftans dans leurs collections – dans le cadre d’un esprit de liberté radicalement nouveau par rapport aux conventions bourgeoises françaises. À la suite d’une visite au Maroc au début des années 1960, la rédactrice en chef du magazine Vogue, Diana Vreeland, a publié dans un numéro de 1966 un article intitulé « The Beautiful People in caftans » (Les belles personnes en caftan), dans lequel elle défendait le caftan comme un vêtement à la mode.

À leur tour, des créateurs marocains comme Zina Guessous et Tamy Tazi ont réinventé le caftan en y introduisant des éléments de la mode européenne, en le rendant plus léger et ajusté au corps.  

Depuis les années 1990, la croissance du secteur de la mode formelle au Maroc a élargi les possibilités d’expression à travers des combinaisons d’interprétations traditionnelles et contemporaines de l’habillement marocain.  L’importance de la famille royale au Maroc, qui apparaît régulièrement vêtue de caftans et de jellabasdans les magazines marocains de life style, a renforcé la popularité de la sfifa en tant que partie intégrante de l’héritage culturel et des aspirations modernes du Maroc.

Pour conclure, la sfifa tressée reste intrinsèquement liée à la mode marocaine, aussi importante que les diverses formes de broderie régionale. Elle est pourtant encore assez peu traitée par les universitaires et dans les collections des musées. Notons qu’il est à la fois séduisant et frustrant de constater que la sfifa reste invisible dans les descriptions muséales des vêtements, textiles et styles de broderie régionaux marocains. Il est certainement temps d’accorder plus d’attention aux histoires et aux artisans qualifiés qui font perdurer encore aujourd’hui le savoir-faire ancestral du tissage à la main de la sfifa.

La photo ci-dessous montre une somptueuse broderie de Fès encadrée par des sfifas dorées.

Ce caftan en velours noir typique de Fès, connu sous le nom de Caftan Ntaa, est décoré de broderies dorées (Tarz Ntaa) et de bandes de sfifa dorées, qui délimitent sa forme et ses lignes.
Photo de M. Amine Dadda